CRITIQUE : La Cerisaie, Théâtre Arcola ✭✭✭✭

Jack Klaff (Gayev), Robin Hooper (Firs), Abhin Galeya (Peter), Jude Akuwudike (Lopakhin) et Nick Voyia (Étranger) dans La Cerisaie La Cerisaie Arcola Theatre 22 février 2017

4 étoiles

Réservez vos places Personne ne met en scène les familles malheureuses comme les Russes. La réputation de Tchekhov en tant que dramaturge est liée à sa maîtrise du genre, et pourtant La Cerisaie, sa dernière pièce, était censée être une farce. À la manière Barthésienne, beaucoup de gens ne sont pas d'accord avec cette catégorisation, notamment le célèbre auteur Stanislavski, qui a déclaré que, en la lisant :

“J'ai pleuré comme une femme, j'ai essayé de me contrôler, mais je n'ai pas pu. Je peux entendre dire : « Mais s'il vous plaît, c'est une farce... » Non, pour l'homme ordinaire c'est une tragédie.”

Le metteur en scène Mehmet Ergen suggère que la pièce est remarquable car elle porte « le sentiment que quelque chose d'énorme va se produire, quelque chose d'insaisissable, mais de très puissant. »

Il ne suffit pas de dire que la pièce est une chose ou une autre car ses personnages sont égocentriques, absurdes et parfois, légèrement fous – je soupçonne qu'en partie, les gens sont soit entraînés vers l'hilarité soit vers le désespoir par la tension toujours croissante.

Ce qui est certain, c'est que la pièce pourrait, malgré toute sa beauté déchirante, être totalement sans vie entre de mauvaises mains. La production d'Ergen n'est pas seulement perspicace et vibrante, mais offre un examen poignant de l'inévitabilité du changement, et des manières dont nous y faisons face.

Se déroulant au tournant du XXe siècle, la pièce se situe dans le domaine ancestral de Mme Ranevskaïa (Sian Thomas), qui a quitté la Russie cinq ans auparavant, après la mort de son jeune fils. Elle revient avec son frère Gayev (Jack Klaff) et sa plus jeune fille, Anya (Pernille Broch) et a le sentiment que rien n'a changé. Pourtant, leur riche ami et ancien serf, Lopakhin (Jude Akuwudike), leur dit que les nombreuses dettes de la famille ne peuvent être résolues qu'en vendant le vaste verger de cerisiers sur leurs terres, pour laisser place aux citadins souhaitant construire leurs résidences d'été. Bien qu'ils continuent à mener leur vie sans souci, l'ère de l'aristocrate commence à s'éteindre visiblement. La Cerisaie est injectée d'un énorme pathos, de la représentation réfléchie de Thomas sur le deuil de Mme Ranevskaïa à la performance touchante de Robin Hooper dans le rôle de Firs, le vieux serviteur sénile de la maison. La fille adoptive de Mme Ranevskaïa, Varya (Jade Williams) offre également une figure suffisamment mélancolique, sa relation complexe avec Lopakhin offrant paradoxalement une évasion de sa vie malheureuse, tout en l'y enchaînant. Les acteurs font un travail formidable en explorant comment leurs personnages portent leurs prisons avec eux, et comment ils peuvent être rendus inertes par la peur ou la résignation. En retour, la production est caractérisée et rehaussée par son incroyable subtilité, avec la comédie et la tragédie qui bouillonnent perpétuellement à travers la magnifique traduction de Trevor Griffiths.

Sian Thomas (Mme Ranevskaïa) et Jack Klaff (Gayev) dans La Cerisaie

Le Gayev de Klaff est tout simplement merveilleux, échappant avec assiduité aux pressions quotidiennes de la vie contemporaine, tout en restant d'un optimisme béat quant à son avenir. L'Epikhodov maladroit de Simon Scardifield, qui charme maladroitement la servante Douniasha (Lily Wood) avant de trébucher à travers une série de gaffes, vacille magnifiquement sur le point de s'effondrer monumentale et nous craignons qu’il n'entraîne d'autres avec lui. Et pourtant, exceptionnellement pour Tchekhov, son arme reste non tirée, symbole d'une intention frustrée. Peter, l'éternel étudiant (Abhin Galeya), est également fascinant à cet égard, courtisant Anya avec ses discours poétiques sur l'inertie de l'humanité, sans pour autant briser lui-même la tendance. Mme Ranevskaïa observe qu'il manque de « générosité et de considération », mais c'est naturellement bien plus complexe. Peter est pompeux et irritable, mais Galeya est aussi formidable pour démontrer sa fascination pour les autres, alimentée par un désir de comprendre le comportement humain, et peut-être d'aider les gens à atteindre le sentiment de valeur et de but qu'il n'a pas.

Simon Scardifield (Epikhodov) et Ryan Wichert (Yasha) dans La Cerisaie

La fin, qui comprend un tour de force de Lopakhin triomphant d'Akuwudike, et l'acceptation hantée par Firs de son oubli, est à admirer pour son ton ambigu - la résolution improbable des malheurs financiers du débauché aristocratique Pischick (une belle performance comique de Jim Bywater) contrastant magnifiquement avec les romances bouleversées et les avenirs incertains. Ergen et son excellent casting illustrent l'importance de la capacité négative, tout en reconnaissant à quel point il est difficile de mettre cette philosophie en pratique.

La production de la dernière pièce de Tchekhov par Mehmet Ergen est réfléchie et incitante à la réflexion, caractérisée par un certain nombre de performances formidables et un sens bien jugé de l'irrésolution. Que vous soyez un néophyte de Tchekhov ou un fervent érudit, je suis certain que vous serez enrichi par cette production.

Jusqu'au 25 mars 2017

Photos : Robert Workman

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